24 décembre 2020 — La notion de conscience n’a pas toujours été la clef de voute de la psyché humaine. Elle a connu un long cheminement pour s’imposer comme un concept fondamental avant d’être fortement critiquée et relativisée.
Aussi étonnant que cela puisse paraitre, la conscience, si incontournable aujourd’hui pour penser l’homme et sa psyché, n’a pas toujours existé. Du moins, pour être plus précis, le concept de Conscience n’est pas de toute éternité mais le fruit d’une longue et lente histoire, plus récente qu’on ne le croit :
Ainsi, dans l’antiquité, seul le Noos, l’esprit connaissant, donnait la raison des choses. Et Le « Connais-toi toi-même » grec, emblème rapide de la « conscientisation » de nos jours, est l’objet d’un énorme contresens quand il est rapporté à la conscience intérieure. Cette connaissance de soi à laquelle appelle Socrate ne doit pas être comprise au sens psychologique ou psychanalytique, comme on pourrait avoir tendance à le faire aujourd’hui.
L’injonction socratique n’a rien à voir avec une recherche introspective et parfois narcissique sur nos envies, nos désirs, nos petits défauts, et grandes qualités ou autres. Le « Se connaitre soi-même » antique n’a rien à voir avec une introspection. C’est plutôt une véritable exhortation à une investigation ontologique sur l’être de la nature humaine et son devenir. Il s’agit de se révéler à soi en tant qu’Être humain ; accéder à soi non pas en tant qu’individu singulier mais en tant qu’Homme, en s’affranchissant de ses sentiments et de ses opinions reçues. Il s’agit alors de tenter d’échapper à notre propension à l’erreur et à l’illusion.
Se connaitre soi même c’est alors connaitre sa juste mesure, accepter les limites de l’homme pour en trouver l’essence et laisser aux Dieux le soin de s’occuper de l’ordre de l’Univers pour se consacrer à ce qui nous concerne en propre, c’est-à-dire vivre vertueusement, selon le Bien.
C’est la modernité philosophique, à l’âge classique, qui a donné au sujet une conscience. Descartes l’a posée comme le socle de la connaissance car la conscience a résisté au doute méthodique. « Je pense donc je suis » c’est avoir conscience qu’on ne peut pas douter de sa propre existence, car même pour en douter, il faut exister. Être conscient, c’est sentir, agir, penser et savoir que je sens, que je pense et que j’agis. L’homme n’est pas juste « posé » dans le monde mais s’y rapporte en permanence. Par la conscience, le monde devient objet de connaissance et de réflexion.
La notion de conscience va prendre de plus en plus d’ampleur dans la conception de l’homme et en construire une nouvelle image pour atteindre son apogée au 18ème siècle, avec les Lumières.
Être conscient, c’est être éclairé par les Lumières, être émancipé et sortir de la servitude, tant sur le plan politique que sur celui du savoir. Kant donnera comme devise au mouvement de l’Aufklerung (les Lumières allemandes) « Sapere Aude » ou Ose Savoir, injonction couramment traduite par« Ose penser par toi-même ». Avec Kant, la conscience se transforme en conscience morale, ou en tous cas, la loi morale se fonde sur la conscience et notamment la conscience de l’autre comme un autre soi, avec cette fameuse maxime : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».
Les philosophes ont fait de la conscience le propre de l’homme, glorifiant au passage la raison et sa capacité à appréhender la réalité. Mais l’hégémonie de la conscience va bientôt être radicalement mise en cause au 19ème siècle, notamment avec la naissance de la psychanalyse. Freud sera, de fait, le grand contempteur de la conscience comme maitresse de la psyché.
« La psychanalyse nous engage à ne pas mettre la perception de la conscience à la place du processus psychique inconscient qui est son objet », explique Freud dans Métapsychologie, et d’ajouter « Pour bien comprendre la vie psychique, il est indispensable de cesser de surestimer la conscience. Il faut voir dans l’inconscient le fond de toute vie psychique ». Pour Freud, l’inconscient est comme un grand cercle qui enfermerait le conscient.
Freud veut donc ramener la conscience à sa juste valeur et à sa place adéquate selon lui. Désormais s’en est fini du règne absolu de la conscience et de sa suprématie abusive. Tout puissant, totalement autonome et indépendant, l’inconscient freudien destitue la conscience et s’institue en nouveau maitre absolu du psychisme, tel un nouveau Dieu dont les psychanalystes vont chercher à déchiffrer les voix jusqu’alors impénétrables. «Le moi n’est pas maitre dans sa propre maison » claironnera Freud. Il n’est plus l’instance qui dirige le psychisme.
Ce mouvement critique de la conscience sera parachevé par Carl Gustav Jung et son concept d’inconscient collectif. Selon le médecin psychiatre suisse, l’inconscient collectif constitue « une condition ou une base de la psyché en soi, condition omniprésente, immuable, identique à elle-même en tous lieux » (Aïon, études sur la phénoménologie du soi, Albin Michel, 1983). Les instincts et les archétypes constituent l’ensemble de l’inconscient collectif qui, au contraire de l’inconscient personnel freudien n’est pas fait de contenus individuels singuliers mais plutôt de motifs universels et récurrents. Cette sorte d’inconscient extraneuronal fonctionne même comme mémoire de l’humanité. Pour Jung, en effet, admettre l’existence de cet inconscient collectif c’est accepter que « nous ne sommes pas d’aujourd’hui ni d’hier ; nous sommes d’un âge immense ».
Sur ce thème à voir en replay les “Affranchis de l’Info” : Phénomènes psi, La conscience est-elle intra ou extraneuronale ? (réservé aux abonnés)
Mathias Leboeuf (rédaction btlv.fr)